Maxime Bolduc
Maxime Bolduc est étudiant à la maîtrise en études françaises à l’Université de Sherbrooke.
Son mémoire, qu’il réalise sous la supervision de Marie-Pier Luneau, porte sur la posture des « nouveaux » éditeurs québécois. Il est également assistant de recherche au Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec (GRÉLQ) et secrétaire adjoint de l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé (AQÉI).
Pour en savoir plus
Marchand de feuilles
Éditions du Boréal
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Bonjour Maxime,
Merci beaucoup pour cette stimulante présentation sur les stratégies de promotion de Boréal et Marchand de feuilles sur les réseaux sociaux. J’ai deux questions, relatives au corpus et à la méthodologie, et qui seraient susceptibles d’ouvrir la réflexion vers d’autres pistes ou compléments :
1) J’apprécie l’importance que vous avez accordée à la définition d’une image de marque « engagée » chez MdF, contrairement à Boréal dont le ton est sans doute plus « neutre » (en conformité avec les grandes entreprises de type « mainstream ») comme vous le dites. En quoi cette image de marque est-elle fidèle, ou plutôt prolonge-t-elle sur un temps plus long et pour une audience plus large un certain « discours de l’éditeur » qui serait lisible et visible dans les entretiens ou articles journalistiques portant sur ces maisons d’édition ?
2) Dans une perspective comparatiste, avez-vous essayé d’identifier des moments dans une année (ici, 2019) durant lesquels les maisons d’édition approfondissent de façon simultanée leurs propres stratégies ? Je pense notamment à la journée du 12 août, « J’achète un livre québécois », qui entraîne une saturation d’images et de promotion dans les réseaux sociaux de la part du monde du livre (éditeurs, librairies, auteurs et autrices). Comment vos deux exemples profitent-ils de cette initiative née à la faveur des réseaux sociaux pour poursuivre leurs efforts de promotion d’un catalogue et d’une image de marque distincts ?
Merci encore !
Bonjour Adrien,
Merci pour beaucoup pour vos questions et excusez mon délai de réponse.
1) Mélanie Vincelette, lors de ces entrevues dans les médias, a pris surtout position par rapport à la situation dans le champ éditorial québécois, en particulier à ses débuts où on la connaît (entre 2000 et 2005 environ) pour son discours qui demande qu’on accorde une plus grande place à la relève auctoriale et éditoriale. Je suppose qu’elle n’a pas vraiment la chance, dans les médias, de donner son opinion sur d’autres sujets, c’est pourquoi elle doit prendre position ailleurs, sur des plateformes où elle décide de ce qui est mis en ligne. Les réseaux sociaux constituent un espace où elle peut exposer librement et plus régulièrement la philosophie qui oriente ses choix éditoriaux. Je noterais qu’il y a cependant beaucoup de ressemblances entre le discours de Vincelette sur les réseaux sociaux et ses courts textes liminaires qu’elle publie principalement entre 2003 et 2012 dans sa revue, Zinc. Elle y revendique surtout le talent de la relève, mais elle en profite aussi pour parler d’une foule de sujets – pas toujours en lien direct avec la production – comme la surconsommation, par exemple. On vise certainement à rassembler les gens autour d’idées et de valeurs communes.
2) Étonnamment, Marchand de feuilles n’a pas fait la promotion de la journée du 12 août sur ses réseaux (du moins en 2019). Boréal, cependant, a mis énormément d’emphase là-dessus pendant les deux semaines précédant l’événement et on publie tous les jours par rapport à cela. On change notamment la photo de couverture de la page, ce qui est une pratique assez courante chez Boréal (et inexistante chez Marchand de feuilles, c’est la même depuis 2016) que je n’ai pas eu le temps de mentionner dans ma communication. Dans ce cas-ci, on met la page aux couleurs de la journée « J’achète un livre québécois », mais, le plus souvent, on met le livre du moment, ce qui met la production de la maison à l’honneur, mais en effaçant, d’une certaine façon, l’image de marque de l’éditeur. Pour revenir au 12 août, Boréal a tout un programme de suggestions de lecture accompagné de visuels – dont les couleurs correspondent au logo de la journée du 12 août, plutôt qu’à l’image de la maison. Bref, il y a ici deux façons assez distinctes d’aborder le même événement. La situation est similaire pour le mois de décembre, juste avant la période des fêtes. Boréal publie fréquemment des suggestions de cadeaux à offrir par exemple, ce qui est complètement absent chez Marchand de feuilles. Je n’ai pas eu la chance de véritablement creuser cette piste, mais ce serait en effet intéressant d’analyser les publications de plusieurs éditeurs pour un seul moment de l’année précis – comme le 12 août ou encore avant la période des fêtes – pour comparer les stratégies de vente.
En espérant avoir répondu à vos questions !
Excellente analyse, Maxime! Très intéressant. J’aimerais peut-être en savoir un peu plus sur ce que tu observes pour l’instant en ce qui concerne les différences entre l’usage d’Instagram et de Twitter et Facebook. Tu esquisses quelques réflexions en fin de communication. Mais j’aimerais savoir plus précisément de quelle manière les « communautés de lectures » varient d’un réseau à l’autre. L’âge des usagers sur ces différentes plateformes n’est pas forcément le même, pas plus que leur manière de se représenter « en lecteur.trices » (les codes sont différents, les marqueurs sociaux aussi). Par exemple, est-ce que le Boréal ou le Marchand de feuilles relaient des photos de selfies avec leurs livres sur Instagram? Au-delà du branding, donc, voit-on se profiler des postures de lectures différentes sur les différents réseaux?
Bonjour,
Merci pour votre question ! J’ai esquissé la chose un peu rapidement dans ma communication, mais les photos sur le compte Instagram de Marchand de feuilles sont plutôt travaillées. C’est certainement en lien avec la question de Karol’Ann, plus bas, sur le « lifestyle Marchand de feuilles ». Il y a donc une mise en valeur de l’acte de lecture : lire dans le bain, lire avec la théière et les biscuits pour le thé à côté, lire avec un café glacé, lire au lit, etc. Il y a eu un aspect paisible aux photos, qui montrent que lire est un beau moment de détente, un moment pour soi. D’une certaine façon, on ne vend pas seulement un roman, mais plutôt l’activité en elle-même avec ces photographies. Ça m’apparaît être des codes qui sont apparus avec Instagram : avec les influenceuses.eurs qui prennent ce type de photos sur leur compte, les maisons d’édition doivent jouer le jeu si elles veulent attirer l’oeil des curieux lorsque ceux-ci recherchent des mots-clics. Mais comme je le mentionnais, ces photographies sont également récupérées sur Facebook par la suite dans le cas de Marchand de feuilles. Reste qu’Instagram semble dédié à ce type de publications. On y parle assez peu de la réception critique (quelques photos du journal « papier », quelques courtes citations qui accompagnent les photos), alors que cela représente près de 50% des publications Facebook de la maison d’édition (on ne peut pas y mettre de lien cliquable comme sur Facebook ou Twitter, ce qui explique peut-être ce choix). Chez Boréal, on retrouve des photos où on tient des livres ou bien où on voit le livre déposé sur une table de travail, cependant l’esthétique m’apparaît moins travaillé et moins uniforme que chez Marchand de feuilles. Malgré tout, il y a quand même un effort pour répondre aux codes de ce réseau social, puisqu’on y publie rarement une couverture toute seule, comme on le ferait sur Facebook.
Instagram, avec l’utilisation des « stories » encouragent également la fréquentation quotidienne des comptes qu’on suit. Ce type de contenus, qui disparaît après 24h, nous oblige à être actif quotidiennement sur l’application pour ne rien manquer (ce qui complique la tâche de la collecte de données lorsqu’on veut les étudier). Par exemple, le mois dernier, j’ai vu Marchand de feuilles partager, via une « story » des commentaires de lectrices.eurs qui ont disent avoir lu et apprécié le roman La Fille d’elle-même de Gabrielle Boulianne-Tremblay. De cette manière, on met à profiter la communauté pour promouvoir le roman, sans que le contenu vienne s’insérer dans le fil d’actualité de la page, où on construit une esthétique précise. J’ai observé un peu le même phénomène chez Boréal, mais sur Twitter, où l’éditeur est en mesure de « retweeter » les commentaires positifs des internautes.
En espérant que cela réponde en partie à votre question !
Bonjour Maxime,
Cette communication m’a franchement intéressée! Je suis curieuse d’en apprendre plus sur ce que tu perçois dans le compte Instagram de Marchand de feuilles. Je ne suis pas utilisatrice d’Instagram, mais il était assez frappant de voir surgir l’ensemble de magnifiques photos (esthétiques, professionnelles, relativement homogènes grâce aux couleurs, comme tu le soulevais), qui m’ont paru générer une aura de séduction fondée sur un « lifestyle Marchand de feuilles », assez branché et captivant. Cette stratégie promotionnelle (marque lifestyle) est, je crois, particulièrement efficace pour créer un sentiment d’appartenance à une communauté nichée, sur la base des habitudes de vie, des valeurs, d’un lien émotionnel, etc. Il me semble d’ailleurs brillant de miser sur plusieurs photographies représentant des lecteur.trice.s en « action », parce que toutes ces photos réinscrivent une pratique relativement marginale à notre époque (la lecture de livres papier) dans plusieurs pratiques et contextes concomitants, mais qui en décuplent l’aspect plaisant et actuel, « en vogue » (lire dans le bain, en prenant un verre de vin, un café signature ou une infusion accompagnée de granola, entouré.e de belles fleurs dans des décors boho chics; si je me fie à ce que je vois rapidement).
Selon toi, est-ce que cette logique marchande est particulièrement prisée par Marchand de feuilles ou cela est-il généralisé parmi les nouveaux éditeurs qui utilisent Instagram?
Quelles seraient selon toi quelques-unes des caractéristiques propres au « lifestyle » Marchand de feuilles, s’il y a lieu? Merci!
Bonjour Karol’Ann,
Merci pour ta question ! Tu as tout à fait raison en parlant de « lifestyle Marchand de feuilles ». Cette maison d’édition se sert abondamment des codes courants chez les influenceuses.eurs d’Instagram, peut-être parce qu’on fait directement affaires avec certains d’entre eux pour produire le contenu du compte. Comme tu le mentionnes, la mise en scène de l’acte de lecture est omniprésente. À ma connaissance, Marchand de feuilles est la seule « nouvelle » maison d’édition à proposer un « lifestyle » aussi développé, c’est-à-dire avec des scènes comme tu as décrites (lire dans le bain, lire avec un café, etc.). Reste que pas mal tous les éditeurs, comme je le mentionnais plus haut, jouent le jeu d’Instagram d’une façon ou d’une autre publiant des photos des livres dans une certaine mise en scène, même minimale (un livre sur une table en bois, par exemple). C’est relativement rare qu’on publie seulement une image de la couverture, sans qu’il y ait un « décor ».
Un des éléments de l’esthétique de Marchand feuilles sur Instagram (outre l’acte de lecture comme un moment de détente, un moment à soi, que j’ai décrit plus haut) serait peut-être la mise en valeur de la matérialité du livre, plus précisément le livre en tant que « bel » objet. Je pense notamment aux photos des livres qui servent presque de décorations. Le livre apparaît aussi comme un objet « vintage » : sur une photo que j’aime bien, on retrouve le livre Fulminologie à côté d’un appareil photo, d’une vieille radio et d’une photographie en noir et blanc; le tout est sur un petit meuble, comme s’il s’agissait d’un élément de décor dans un appartement. Un peu dans la même veine, Marchand de feuilles montre parfois des photos du journal « papier » pour faire la promotion d’une critique, plutôt que mettre une capture d’écran du site Internet par exemple.
En espérant que j’ai répondu à ta question !