Antoine Fauchié, « Déployer le livre »

1. Introduction

Déployer le livre. Voilà une invitation adressée à toute personne désireuse de comprendre comment un texte devient une publication via l’usage de processus issus du développement informatique. Nous nous proposons d’explorer la question de la fabrication du livre dans ses multiples expressions.

Les formes du livre n’ont probablement jamais été aussi multiples, un même texte pouvant désormais avoir plusieurs artéfacts différents, homothétiques ou non. L’édition dans le vaste champ littéraire connaît aujourd’hui une forme d’hybridation (Ludovico & al., 2016). Le livre a désormais des formes plurielles, parallèles ou complémentaires, imprimées ou numériques, auxquelles nous nous sommes plus ou moins habitué·e·s (Epron & al., 2018) : qu’il s’agisse d’un livre imprimé en offset, issu d’un processus d’impression à la demande, diffusé au format EPUB, disponible sous la forme d’un livre web ou d’un jeu de données. Il est désormais techniquement possible de générer presque automatiquement les fichiers nécessaires à ces différentes productions, grâce à des programmes informatiques. Depuis une même source, le livre se déploie. Ces pratiques d’édition numérique sont multiples, ces mises en œuvre méritent que nous nous y attardions, que nous les analysions.

Le terme déployer est utilisé dans le domaine du développement informatique pour signifier qu’un programme est mis en application. il peut s’agir autant d’un site web que d’un logiciel. Les lignes de code s’activent selon des règles établies et dictées. Ces nouvelles méthodes de fabrication (Flusser, 2002, p. 57) du livre doivent être étudiées afin de comprendre quelles influences elles peuvent avoir sur les processus d’écriture et de conception des textes (Audet, 2015). Il ne s’agit pas de la question de l’automatisation en soit, mais plutôt de celle de l’agencement des différentes étapes de ces déploiements et de la façon de les exprimer. Notre intérêt se porte sur les conditions d’existence des artéfacts, reflet d’une certaine vision du monde.

Plusieurs questions en lien avec l’édition numérique tout autant que les pratiques littéraires peuvent être posées. Les scripts utilisés pour déployer les livres sont-ils les nouveaux gestes éditoriaux ? Viennent-ils remplacer les mains qui relient les pages, les muscles qui serrent la presse typographique, les doigts sur le clavier qui activent les fonctions d’un logiciel, les algorithmes secrets des logiciels propriétaires ? À travers une analyse des questions littéraires, techniques et éditoriales, et avec l’aide de présentations d’initiatives éditoriales autant que programmatiques, nous nous proposons d’étudier ces modalités de production et de diffusion des livres, à la croisée des études du livre et des critical code studies (Marino, 2020).

Cette communication s’inscrit dans le colloque Études du livre au XXIe siècle qui se déroule progressivement pendant les mois de mars à mai 2021. Cette entreprise s’établit selon une recherche performative, les lignes que vous lisez sont elles aussi déployées, au fur et à mesure, à raison d’un nouvel épisode tous les jours ou tous les deux jours, entre le 10 et le 24 mars. Pour suivre les mises en ligne successives des fragments rendez-vous sur deployer.quaternum.net.

2. De quoi déployer est-il le nom ? [15 mars 2021]

Déployer n’est pas un terme courant dans le domaine de l’édition, même numérique, il est donc nécessaire de comprendre le lien qui peut exister entre ce verbe transitif et le livre.

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-2

3. Dessine-moi un déploiement continu [17 mars 2021]

Pour comprendre le fonctionnement du déploiement continu, décrivons et schématisons les étapes qui le constituent.

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-3

4. Des livres déployés [22 mars 2021]

Comment le déploiement continu peut être utilisé pour fabriquer des livres ?

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-4

5. Les conditions du déploiement [25 mars 2021]

Choisir le déploiement continu pour fabriquer des livres implique des conditions précises.

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-5

6. Les étapes du déploiement [29 mars 2021]

Observons les étapes du déploiement dans le cas d’un livre numérique.

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-6

7. Vers une modélisation [6 avril 2021]

Et si le déploiement continu n’était qu’une modélisation technique de l’édition en tant que processus ?

À lire ici : https://deployer.quaternum.net/#module-7


Références

Audet, R. (2015). Écrire numérique : du texte littéraire entendu comme processus. Itinéraires. Littérature, textes, cultures(2014-1). https://doi.org/10.4000/itineraires.2267

Bon, F. (2011). Après le livre. Éditions du Seuil.

Bonnet, G. (2017). Pour une poétique numérique: littérature et internet. Hermann.

Epron, B. & Vitali-Rosati, M. (2018). L’édition à l’ère numérique. La Découverte. https://www.cairn.info/l-edition-a-l-ere-numerique–9782707199355.htm

Flusser, V. (2002). Petite philosophie du design. Circé.

Guichard, É. (2008). L’écriture scientifique. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00347616/document

Legendre, B. (2019). Ce que le numérique fait aux livres. Presses universitaires de Grenoble. https://doi.org/10.3917/pug.legen.2019.01

Ludovico, A. & Cramer, F. (2016). Post-digital print: la mutation de l’édition depuis 1894. Éditions B42.

Marino, M. (2020). Critical Code Studies. MIT Press.

Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. Aubier [2012].

Antoine Fauchié

Antoine Fauchié est actuellement doctorant au Département des littératures de langue française à l’Université de Montréal, sous la direction de Marcello Vitali-Rosati et Michael Eberle-Sinatra, et responsable de projets à la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques.

Après avoir accompagné les professionnels du livre en Rhône-Alpes en France sur les questions numériques pendant près de 10 ans, il réalise un travail de recherche sur les processus de publication et leur influence sur les pratiques d’écriture. Avant d’entamer une thèse à Montréal, Antoine Fauchié a développé une pratique professionnelle en tant que consultant indépendant en édition numérique et en tant qu’enseignant à l’IUT2 de Grenoble en sciences de l’information.

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5 réflexions au sujet de “Antoine Fauchié, « Déployer le livre »”

  1. Bonjour Antoine,

    Merci pour ce deuxième fragment, où tu exposes la logique derrière l’idée du déploiement – idée fascinante, qui renvoie à la matérialité même du processus (qu’importe qu’on soit en production papier ou en production numérique). Déployer, c’est donc développer ce qui était en puissance, ce qui était en germe (ça s’accorde bien avec le champ lexical du printemps).

    Si on voit très bien comment cette idée se trouve à s’exprimer à travers le geste éditorial observé pour lui-même, je me questionne sur sa place dans une vision un peu plus étendue, attrapant ainsi deux paramètres (l’un en amont, l’autre en aval) de l’univers éditorial :

    • avec l’auteur : si l’on peut concevoir l’édition comme démarche de déploiement, comment concilier cette vision avec le propre déploiement du manuscrit, de l’œuvre, qui survient au moment de l’écriture, de la rédaction ? La réponse simple est évidemment d’y voir deux temps, indépendants, qui prennent le relais l’un de l’autre. Pourrait-on mieux imaginer comment ces deux déploiements pourraient être harnachés l’un à l’autre, dans un doublé (simultané) de ces processus ?

    • avec l’objet produit : il est notoire que la production éditoriale a pour résultat la réalisation d’un objet fini – et qui peut donc être référencé, parce que stable (ISBN, ISSN et autres identifiants). Les productions numériques ont secoué cette évidence, ce que les URL, DOI, versions ou commits (dans un dépôt git) tendent à compenser ou à remplacer. Dans une logique de déploiement, non pas celle de la production de diverses moutures finales d’un même ouvrage (PDF, papier, POD, ePub) mais l’idéal d’un déploiement récurrent, voire perpétuel, comment concilier le besoin informationnel de versions stabilisées avec l’aspiration à une déployabilité non contingentée de contenus éditoriaux ?

    À toi !

    • Merci pour cette sollicitation bienvenue !

      En ce qui concerne l’auteur, le risque serait de considérer l’ensemble des étapes de la chaîne d’édition (y compris l’écriture du manuscrit par l’auteur lui-même, quand bien même cette image d’Épinal reflète rarement la réalité) comme des phases hermétiques qui devraient être séparées de façon étanches. Les outils d’écriture et d’édition classiques nous amènent malheureusement à cette conclusion (nous faisons toutefois le constat que c’est une réalité largement partagée, mais néanmoins non souhaitable). Il est possible d’envisager un travail d’écriture qui serait une partie du processus de déploiement continu, ou tout du moins qui viendrait si brancher. Plutôt qu’un « doublé », il faut considérer deux embranchements d’un même projet, les branches étant amenées à se rejoindre. Pour l’implémentation (pour rester dans le champ lexical technique) de ce branchement, peut-être que les exemples que je montrerai amèneront des réponses.

      À propos de l’objet produit dans la perspective d’un déploiement qui ne s’arrête pas, la question de la stabilité — ou au moins de l’indication d’une version — est épineuse (voir les travaux de Chloé Girard notamment). Loin de moi l’idée de laisser à d’autres le soin de régler ce qui est un réel problème, mais nous avons aujourd’hui toutes les briques techniques utiles, reste à les agencer. Ce serait un travail de design, et probablement plus spécifiquement d’UX, pour utiliser à bon escient les commits issus du versionnement, la structuration suffisamment fine du texte (mais pas trop non plus), le balisage des contenus et de leur modification, et les bonnes pratiques en gestion de versions ou de « release ». Bref il faut expérimenter à plusieurs pour comprendre plus précisément ce qui se joue ici (et d’ailleurs jouons ensemble !).

      Ce que je commence à démontrer dans le troisième fragment (https://deployer.quaternum.net/#module-3), c’est que cette démarche de déploiement continu n’est pas uniquement un geste éditorial mais plus largement un geste d’écriture. Comme Marcello Vitali-Rosati je soutiens (mais surement plus maladroitement) que l’édition n’est pas qu’une intervention sur le texte, comme une opération après, mais aussi une écriture (tout est écriture), et donc un travail intellectuel aussi important que la manuscrit lui-même.

      (Archive : https://gitlab.com/antoinentl/deployer-le-livre/-/issues/4)

  2. Bonjour Antoine,
    Merci pour ce projet très intéressant et son déploiement continu tout au long du colloque ! Je salue la plasticité de la forme, très cohérente avec le propos.
    Vos dernières remarques autour du « geste d’écriture » sont particulièrement stimulantes. Elles m’évoquent le travail théorique de Anne-Marie Christin sur les interactions support-écriture (et sur l’implication du support ou du médium dans les pratiques éditoriales) et comment le passage au numérique n’est pas une simple transposition du texte, mais une réécriture (ou une écriture continue) qui implique une sémantique propre à la spécificité du médium.
    En contrepoint de cette notion d’écriture, vous interrogez-vous sur l’idée d’un « geste de lecture » (mais peut-être sommes-nous ici davantage dans une approche UI)?
    Bien à vous,
    Barbara B.

    • Bonjour Barbara,
      Merci pour cette remarque qui pointe avec justesse un angle mort de ma recherche. Les textes d’Anne-Marie Christin sont dans ma liste de lecture, il aurait probablement été pertinent d’utiliser la richesse (et la puissance sans doute) de la pensée d’Anne-Marie Christin. D’ailleurs il faudrait que j’explore aussi les liens possibles avec Jay David Bolter. Tout ça pour dire que oui et que merci pour cette invitation à lire Anne-Marie Christin (que j’avais croisé en premier lieu en écoutant Arthur Perret). La question que je vais également devoir explorer à la suite de ce travail sur le _déploiement_, c’est la possibilité ou non d’une modélisation de l’édition, et donc aussi de l’écriture. Est-ce qu’il existe des modèles génériques indépendants, modélisables en faisant abstraction des outils, des méthodes et des processus ?
      Enfin pour répondre à votre question sur le « geste d’écriture », je poserais une autre question : est-ce que les gestes d’écriture et de lecture ne s’influencent-ils pas mutuellement ? Est-ce que dans mes pratiques d’écriture (voir d’édition), je ne reproduis pas des attentes aussi en tant que lecteur (ou en projetant des attentes fantasmées de lecteurs et de lectrices) ? Au risque d’aller dans une direction peu scientifique : en tant qu’étudiant ou apprenti chercheur, je fais le constat que je suis mon premier lecteur, et que je modèle mes outils d’écriture autant que mes interfaces de lecture (mon atelier par exemple).

      • Merci beaucoup pour ces précisions Antoine.
        Je suis assez d’accord sur l’idée d’une certaine inextricabilité de l’écriture et de la lecture (sans qu’elles se confondent totalement non plus).
        Au plaisir d’échanger plus amplement le 17 mai prochain!
        Barbara

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