Margot Mellet
Margot Mellet est doctorante en littératures de langue française à l’Université de Montréal en recherche et création.
Son projet s’intéresse au palimpseste, en tant que processus de remédiation d’un support, pour comprendre comment le média devient une instance d’énonciation littéraire.
Elle est également membre étudiante du CRIalt (Centre de Recherches Intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques) et coordonnatrice éditoriale de la revue Sens public. Coordonnatrice scientifique de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques, elle coordonne notamment le projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie Palatine.
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Bonjour Margot,
Merci pour cette étude d’un film hors du commun. Je trouve frappant que la remédiation et l’imaginaire du livre se saisissent ici de la culture et de l’écriture japonaises. Outre le fait que ce choix soit motivé par la référence à l’oeuvre de Sei Shonagon, peut-on penser que montrer des caractères en langue étrangère est justement susceptible d’accentuer encore davantage la dimension matérielle de l’écriture, en raison de l’opacité que ceux-ci présentent pour le spectateur? Il me semble qu’il y a ici l’activation d’un imaginaire spécifique de l’écriture japonaise, quelque chose qui se rapproche davantage de la peinture que l’imaginaire occidental de l’écriture. Et cette distance vis-à-vis d’une autre culture favoriserait la mise en évidence de la « plasticité du lisible sur le visible », comme vous le dites, en nous faisant oublier temporairement le lisible.
Une autre idée m’est venue en vous écoutant : le terme « remédier » est polyphonique et, en plus de l’acte de remédiation, il peut évoquer quelque chose de péjoratif, comme si on cherchait à pallier quelque chose, réparer, compenser un état présent du livre. Cette connotation est-elle volontaire? Pouvez-vous la commenter ? Merci beaucoup !
Bonjour Mélodie,
Merci pour ces beaux commentaires !
Je vous rejoins tout à fait dans ce choix de proposer des écrans de calligraphies japonaises au public occidental. L’interartialité de l’oeuvre se noue aussi avec les beaux arts en travaillant la vision du caractère écrit comme un espace de contemplation. C’est en ce sens que le fait des superpositions d’images mettant en scène les écritures japonaises offre une autre expérience de lecture imaginaire de l’écran. De plus la calligraphie japonaise semble faire sens dans l’écran dans la mesure où, comme la pellicule, elle se lit de haut en bas.
Le terme de remédiation n’est pas à mon sens à comprendre comme péjoratif même si je vous l’accorde certaines de ces mises en pratique peuvent donner l’impression de pallier, ou de devoir compenser un média sous une autre forme. Le principe de la remédiation tel que je le comprends est de saisir les interactions intermédiales qui viennent constituer un média (comme pour dire les médiations de médiations).
Il serait dommage, je crois, de penser la remédiation comme un processus qui viserait à tordre un média (ses caractéristiques plastiques, sa logique, sa structure) pour le faire « à l’image de » mais de composer avec ce qui les constitue. Le livre à l’écran est un livre différent du livre-papier (je ne pense ni mieux ou pire) qui va bouleverser ce que l’on fige comme livre, en terme de structure comme de matérialité. Je conçois davantage la remédiation comme menant à des expérimentations de médiations : il s’agit de se poser la question d’une possible transmutation entre des médias que l’on distinguent et de penser ainsi qu’un média (le livre par exemple) est tel parce que justement il a été conçu et continue de se modifier en dialogue avec et au contact d’autres médias. C’est davantage lié à une idée de traduction (la traduction d’une structure, d’une logique médiatique) plutôt qu’à celle d’une réparation.
Merci encore !
Chère Margot, merci beaucoup pour vos réponses éclairantes!
Mélodie
Chère Margot,
Merci pour cette belle présentation, très claire et empreinte d’une grande sensibilité plasticienne également (et merci pour les références bibliographiques explicitées tout au long de la présentation).
À un moment, vous évoquez la notion de « transcribilité » : pourriez-vous développer autour de cette idée? (reliez-vous la notion à l’idée d’une translisibilité?)
Votre présentation, et la question de la « corporéité » du livre en particulier, m’a fait penser aux réflexions de M. de Certeau sur l’économie scripturaire et son inscription corporelle (symbolique souvent) comme outil d’aliénation. N’y a t-il pas dans le film (que je n’ai pas vu, mais que je vais m’empresser d’aller voir!) un certain rapport à la maîtrise, la possession, dans ces inscriptions? (je pense aussi à l’héroïne qui se fait calligraphier son nom par son père … une presque pratique de l’ex-libris!)
Bien à vous,
Barbara
Chère Barbara,
Merci pour cette très belle piste de réflexion !
Dans le cadre de cette présentation, la transcribilité je la conçois comme ce qui désigne les caractéristiques de transfert, les aspects qui permettent de remédier la logique d’une inscription sur une autre support : exemple ici selon moi, de l’inscription calligraphique sur peau à l’image filmique de la calligraphie, la remédiation s’effectue par la structure de la pellicule (qui concerve la lecture et le défilement vertical), l’impression d’images dans images, le cadrage de la peau calligraphiée comme une page et les mouvements de lectures des hommes livres de bas en haut, etc. Ce sont des stratégies artistiques qui permettent de passer une inscription d’un espace à un autre. On pourrait le rapprocher de la thématique et la logique de la traduction qui est aussi beaucoup représenté dans le film.
La translisibilité me paraît davantage se fonder sur l’équilibre entre opacité et transparence d’un média (mais n’ayant pas approfondi ce terme, peut-être que je me trompe..). Dans translisibilité, il me semble qu’il y a l’idée de deux gestes et dimensions de lecture à même un média (mais encore une fois, il se peut que je me trompe).
Je pense que dans l’histoire du personnage, tout le rapport d’inscription incarne une réflexion sur l’identité et le processus de passation : (petit spoiler) à la fin Nagiko calligraphie le nom de son enfant sur le front de ce dernier. Il y a pour sûr une dimension érotique des inscriptions mais je ne suis pas sûre que ce soit lié à un rapport de pouvoir, dans mon impression de l’oeuvre, cela me semble davantage lié à une quête d’identité, une quête de racines (mais peut être que vous n’aurez pas cette lecture après l’avoir vu !).
En vous remerciant pour toutes ces belles pistes !
Margot
Merci pour vos réponses Margot!
Barbara