Introduction
Les communautés de lecteur.trice.s, phénomène déjà étudié avant l’apparition des nouveaux médias[1], sont aujourd’hui digitales et revêtent une importance particulière dans le domaine de la littérature jeunesse. Sur différentes plateformes, de jeunes lecteur.trice.s échangent sur leurs œuvres préférées. C’est notamment le cas d’Animant Crumbs Staubchronik de Lin Rina (née en 1987), paru chez l’éditeur allemand Drachenmond Verlag en 2017. Bestseller de la maison d’édition, le roman a effectivement connu un franc succès au sein des communautés de lecteur.trice.s. Il a par la suite été augmenté d’un prolongement de lecture, Animants Welt – Ein Buch über Staubchronik (2019). L’effort conjoint de l’autrice et de la maison d’édition pour créer un « univers Staubchronik » facilite le dialogue de celles-ci avec leur lectorat sur des plateformes de micro-blogging, telle Instagram.
Cette communication considère à la lumière de la culture participative, théorisée par Henry Jenkins[2], le dialogue entre les lecteur.trice.s d’Animant Crumbs Staubchronik et son autrice, qui prend la forme d’interactions sur des plateformes virtuelles, dans le but d’analyser son impact sur les pratiques de lecture du lectorat jeunesse. Pour ce faire, je décris tout d’abord la place du livre au sein des communautés de lecteur.trice.s. Je m’interroge ensuite sur l’impact de cette pratique participative sur la lecture de l’œuvre, pour considérer enfin le rôle de l’autrice en tant qu’autorité culturelle dans le dialogue qui en découle.
Animant Crumbs Staubchronik au sein des communautés de lecteur.trice.s
Le terme « communauté de lecteur.trice.s » désigne une pratique de lecture en groupe, grâce à laquelle les gens « construisent et partagent des connexions à travers un livre, une série, un guide de lecture ou même une critique »[3]. Si on peut retracer leur existence jusqu’au 18e siècle[4], elles sont particulièrement appréciées dans le champ littéraire digital[5], où elles existent sous deux formes distinctes. Il existe tout d’abord des forums ou clubs de lecture virtuels, tel que Booknode[6]. Les interactions autour de livres prennent ensuite vie sur la blogosphère et les réseaux sociaux. La communauté s’organise alors autour de blogueur.euse.s littéraires, qui s’expriment sur leurs dernières lectures et interagissent avec leurs abonné.e.s. C’est ce deuxième type de communautés de lecteur.trice.s qui est considéré dans cette communication. Dans l’optique de réduire le corpus et d’en offrir une analyse précise, seules les interactions autour d’Animant Crumbs Staubchronik qui ont lieu sur le réseau social et la plateforme de micro-blogging Instagram sont prises en compte.
Afin de mesurer le succès d’Animant Crumbs Staubchronik au sein du Bookstagram germanophone, j’ai recensé les publications marquées de l’hashtag #staubchronik (2475 posts en date du 16.02.2021). Parmi ceux-ci n’ont été considérées que les publications rédigées en allemand et, dans un premier temps, par des microblogueur.euse.s « indépendant.e.s », non reconnu.e.s comme figures d’autorité dans le champ littéraire. Ces publications peuvent être classées en quatre catégories :
- Les Rezensionen (=recensions ?), publications critiques où le/la microblogueur.euse donne son avis sur le livre, qui illustrent la deuxième partie de cette communication.
- Les publications où le livre a une pure fonction illustrative, dont la légende ne parle pas du livre.
- Les publications s’inscrivant dans un challenge de lecture, qui seront considérées dans la troisième partie de cette communication.
- Les publications « récapitulatives », qui résument les livres lus par mois/année, les récentes acquisitions, parmi lesquelles Staubchronik est mentionnée.
Fidèles au format Instagram, les publications sont composées d’une photographie, mettant dans la grande majorité des cas le livre papier en scène, d’une légende écrite et d’un espace de commentaires. Ces deux éléments donnant l’opportunité aux lecteur.trice.s de s’exprimer et de dialoguer, les communautés de lecteur.trice.s en ligne revêtent un caractère participatif qui impacte leur pratique de lecture.
La lecture dans une communauté participative : vers une représentation collective
Les communautés de lecteur.trice.s jeunesse du réseau social Youtube ont été considérées comme exemple de la culture participative par Christian Ehret, Jacy Boegel et Roya Manuel-Nekouei dans The Role of Affect in Adolescents’ Online Literacies : Participatory Pressures in BookTube Culture (2018). Similairement à Youtube, Instagram « fait partie d’une écologie à part entière de plateformes ouvertement assemblées en réseau qui favorisent le développement de médias amateurs et non commerciaux et de communautés de partage »[7]. Ses communautés de lecteur.trice.s adoptent une attitude vis-à-vis de leurs lectures qui se rapproche du concept de « fandom », défini par Jenkins comme un espace social où « chacun s’appuie librement sur le travail des autres, développant des interprétations souvent communes du caractère des personnages, donne son avis sur les différentes histoires et collabore à la création de nouveaux matériaux »[8]. Cela est observable sur le Bookstagram germanophone, où les lecteur.trice.s d’Animant Crumbs Staubchronik s’expriment et (nous) livrent des éléments essentiels de leur pratique de lecture.
Un type de publication courant du microblogging littéraire est l’avis ou la critique de lecture, plus ou moins développé, qui se retrouve dans les légendes des publications instagram.
Celui-ci est le plus prompt à créer un dialogue entre lecteur.trice.s. On le retrouve par exemple en légende de la publication de @dream.chronicles :
Seid ihr auch ein Fan von Animant Crumbs « Staubchronik »? Hey ihr lieben Es ist mittlerweile ca. 3 Jahre her, seitdem ich « Staubchronik » von Lina Rina @teekind gelesen habe, aber ich kann mich immernoch sehr gut an die Geschichte erinnern. In diesem Buch begeben wir uns nach England ins Jahr 1890 und lernen Animant Crumb/ « Ani » kennen. Ihre Mutter wünscht sich, dass ihre Tochter Ani bald heiratet, allerdings hat Ani ihren eigenen Kopf und ist nicht bereit diesem typischen Frauenbild zu entsprechen. Sie liebt Bücher und alles was damit zu tun hat. Es kommt dann im Laufe des Buches dazu, dass sie einen Monat lang in einer riesen Bibliothek arbeiten soll/darf. Dort lernt sie dann jemanden kennen… Ich fand Animant als Protagonistin richtig gut. Sie war lustig, taff, sarkastisch… also genau so wie ich mir eine tolle Protagonistin eben vorstelle. Auch den männliche Hauptfigur (sic) die man dann kennenlernt fand ich total super. Die Chemie zwischen den beiden hat auf jeden Fall mehr als gestimmt! Ich liebe generell auch Geschichten, die in der Vergangenheit spielen (bin ein großer Fan der Edelstein-Trilogie) und so fand ich die Atmosphäre im Buch einfach nur wundervoll. Auch die Handlung fand ich schlüssig aufgebaut und mir war kein einziges Mal beim Lesen langweilig! Es ist zwar oft auch über eine gewisse Zeit nicht ganz so viel passiert, aber « Staubchronik » ist einfach ein Wohlfühlbuch für alle, die Bücher lieben. Das Cover und den Buchrücken finde ich auch traumhaft schön. Es ist mit viel Liebe zum Detail gestaltet worden, und passt einfach mit diesem « altmodischen » Stil aus dem Buch. Ich werde dem Buch 4.5/5 geben und kann es jedem ans Herz legen! | Vous aussi vous êtes fan de « Dust Chronicle » d’Animant Crumb ? Hey tout le monde Cela fait environ 3 ans que j’ai lu « Staubchronik » de Lina Rina @teekind, mais je me souviens encore très bien de l’histoire. Dans ce livre, nous allons en Angleterre en 1890 et rencontrons Animant Crumb/ »Ani ». Sa mère veut que sa fille Ani se marie bientôt, mais Ani a ses propres idées et ne veut pas se conformer à cette image féminine typique. Elle aime les livres et tout ce qui s’y rapporte. À un moment de l’histoire, elle doit travailler pendant un mois dans une immense bibliothèque. Elle y rencontre ensuite quelqu’un…. J’ai beaucoup aimé Animant comme protagoniste. Elle était drôle, déterminée, sarcastique… Voilà exactement comment j’imagine une bonne protagoniste. J’ai aussi trouvé le personnage masculin que l’on rencontre super. L’alchimie entre les deux fonctionne vraiment! J’aime aussi de toutes façons les histoires qui se déroulent dans le passé (je suis une grande fan de la trilogie Edelstein) et j’ai donc trouvé l’atmosphère du livre simplement merveilleuse. J’ai aussi trouvé que l’intrigue était construite de manière cohérente et je ne me suis pas ennuyée une seule fois en lisant ! C’est vrai qu’il ne se passe parfois pas grand-chose pendant un certain temps, mais « Staubchronik » est juste un livre agréable pour tous ceux qui aiment les livres. Je pense aussi que la couverture et la tranche du livre sont magnifiques. Il a été conçu avec beaucoup d’attention aux détails et s’inscrit dans le style « à l’ancienne » du livre. Je donnerai 4.5/5 à ce livre et je peux le recommander à tout le monde ! |
La critique suit un format classique : l’utilisatrice s’adresse à ses lecteur.trices, introduit le livre et son intrigue, formule son avis sur les personnages et le cadre historique, commente la couverture et recommande le livre. La recommandation prend une place importante au sein des interactions entre lecteur.trice.s. Animants Crumbs Staubchronik est par exemple citée dans le cadre d’un challenge par @lualeni, le 3 octobre 2020, dans la catégorie « livres que tout le monde devrait lire ». La recommandation est également référencée par l’hashtag #leseempfehlung (recommandation de lecture), à l’exemple de la publication de @vanellopenaseweiss en date du 3 novembre 2018 :
Habt ihr es schon gelesen? Wenn nicht solltet ihr das unbedingt nachholen. Klare #leseempfehlung | Vous l’avez déjà lu ? Si ce n’est pas le cas, vous devriez le faire au plus vite. Sans hésiter #leseempfehlung |
Elle peut également mener à un dialogue direct entre lecteur.trice.s, comme c’est le cas dans les commentaires de la publication de @naddis_buecherwelt, postée le 23 janvier 2020 :
@lolle.liest: Ich war so gespannt auf das Buch und jetzt bin ich angefangen und bisher noch überhaupt nicht eingetaucht. @naddis_buecherwelt: also mir hat es von Anfang an sehr gut gefallen. Habe aber noch ein paar Seiten vor mir. | @lolle.liest: Je me réjouissais de lire ce livre, et maintenant j’ai commencé mais je n’ai pour l’instant absolument pas accroché. @naddis_buecherwelt: alors, moi, ça m’a plu dès le début. Mais il me reste encore quelques pages. |
Ces publications sont représentatives de l’aspect participatif des communautés de lecteur.trice.s : chacun.e y a l’occasion d’exprimer son avis et d’interagir. Ce dialogue entre lecteur.trice.s impacte également leur pratique de lecture, qui se déplace de la sphère privée à la sphère collective[9].
Lors de ma recherche initiale à l’aide du #staubchronik, Instagram a mis en avant sous la dénomination « meilleures publications » neuf posts, identifiés par l’algorithme comme ceux correspondant le mieux à ma recherche. Il apparaît déjà une nette ressemblance iconographique (voir l’image plus bas) au sein des publications, qui mettent en scène l’édition papier d’Animant Crumbs Staubchronik. Cette tendance se vérifie ensuite. À l’exception de la 9e publication recommandée par Instagram (image jointe, en bas à droite), les photographies des « meilleures publications » présentent la même palette de couleurs et sont représentatives d’une esthétique commune, induite par la couverture du livre.
Cette volonté de ressemblance esthétique qualifie déjà la pratique de lecture des participant.e.s des communautés de lecteur.trice.s, car elle témoigne d’une dimension virtuelle commune. La dimension virtuelle d’un texte, telle que définie par Wolfgang Iser, correspond à la représentation qu’en a le/la lectrice[10]. Au sein des communautés de lecteur.trice.s, cette créativité est influencée par les apports de chacun.e, jusqu’à ce qu’elle aboutisse à un consensus. Ce consensus concerne également la représentation des personnages, comme le montrent plusieurs publications, dont celle de @herbstlilie datant du 7 février 2021.
Malgré l’absence d’adaptation transmédiale, Animant Crumbs Staubchronik est en mesure de proposer une représentation fixée de ses personnages, ce qui témoigne d’autant plus d’une dimension virtuelle commune à une partie de ses lecteur.trice.s. Dans le cas de la publication d’@herbstlilie, cette dimension virtuelle est même prédéfinie, car elle s’impose avant la première lecture :
Dank der lieben @_buecher_katze_ kann ich mit Recht behaupten, ein Staubchronik Regal zu haben! Denn sie hat mir die 4 tollen Charakterkarten verkauft! Jetzt müsste ich die Bücher nur noch lesen. | Grâce à l’adorable @_buecher_katze_, je peux légitimement prétendre posséder une « étagère Staubchronik » ! Car elle m’a vendu les 4 formidables cartes de personnages. Il faudrait juste que je lise les livres. |
« L’étagère Staubchronik » de la microblogueuse, représentée sur la photographie, précède donc sa première lecture du livre et en caractérise déjà l’univers. Sa lecture sera influencée par des représentations fixes, ce qui la dépossède de son caractère personnel. Les communautés participatives du lectorat jeunesse permettent donc une pratique de représentation collective de l’œuvre littéraire. Cet impact n’est pas passé inaperçu et est utilisé par les acteurs du champ littéraire à des fins de médiation et des fins commerciales. C’est également le cas pour Animant Crumbs Staubchronik.
Une « communauté Staubchronik » : dialogue entre autrice et communautés participatives
Considérer les communautés de lecteur.trice.s à la lumière de la culture participative permet donc de remarquer qu’elles jouent un rôle actif au sein du champ littéraire digital. En effet, la culture participative, dans la définition que lui donne Jenkins, « s’oppose à l’idée ancienne de passivité du spectateur. Au lieu de dire des producteurs et des consommateurs de médias qu’ils jouent des rôles séparés, on peut aujourd’hui les considérer comme des participants en interaction les uns avec les autres »[11]. Lorsqu’on applique cette définition aux interactions en ligne au sujet d’Animant Crumbs Stauchronik, il apparaît clairement que les « producteurs de médias », soit la maison d’édition Drachenmond Verlag et l’autrice Lin Rina, exploitent l’aspect participatif des communautés de lecteur.trice.s afin d’influencer la représentation collective de l’œuvre et d’entrer en dialogue avec leur lectorat.
La communication entre la maison d’édition, l’autrice et les communautés de lecteur.trice.s passe d’abord par les pratiques classiques d’Instagram, soit « aimer » et commenter les publications. Dans le cadre de cette communication n’est considérée que l’activité instagram de l’autrice (@teekind), qui réagit régulièrement aux publications de son lectorat :
@teekind: Ich freu(e) mich, dass es dir gefällt. | @teekind: Je suis contente que ça te plaise. |
Cette interaction, bien que minime, est recherchée par le/la micro-blogueur.se qui « mentionne » l’autrice dans sa publication. « Mentionner » quelqu’un permet non seulement de rediriger les lecteur.trice.s de la publication vers un autre compte, mais aussi d’attirer l’attention de la personne mentionnée, qui reçoit une notification. Cette pratique est courante et démontre que le dialogue est à la fois désiré par les lecteur.trice.s et encouragé par l’autrice. Celle-ci publie par ailleurs elle-même régulièrement, que ce soit à propos de ses propres œuvres ou d’autres. Elle reproduit ainsi les pratiques des communautés en ligne, s’inscrit dans l’esthétique commune liée à Animant Crumbs Stauchronik et motive les échanges entre lecteur.trice.s.
La contribution la plus significative de l’autrice à la lecture en communauté est le « #Staubchroniknovember » (« un novembre Staubchronik »), un challenge de lecture dont le but est de lire un nombre de pages donné à des dates précises tout au long du mois de novembre.
Bon nombre de lecteur.trice.s publient par la suite sous le même hashtag et le livre se trouve à nouveau au centre des interactions. En ressort une impression de lecture « partagée », élément clé de la formation de communautés de lecteur.trice.s[12] :
@laurasbuecherwelt, 6 November 2020 : Was ist noch schöner als endlich in den #staubchroniknovember2020 zu starten? Richtig – das Buch gemeinsam mit anderen zu lesen und sich auszutauschen. Dazu hat @rubyredbooks eine Gruppe angelegt. | @laurasbuecherwelt, 6 novembre 2020 : Qu’y a-t-il de mieux que de commencer enfin le #Staubchroniknovember2020 ? Bingo – (c’est de) lire le livre avec d’autres et d’échanger. Pour cela, @rubyredbooks s’est chargé de créer un groupe. |
@cosmeaandbooks, 30 Dezember 2020: Habt ihr im November #staubchronik mitgelesen? Ich hing zwar eine Weile hinterher, aber schlussendlich habe ich es pünktlich beendet und diese Art, ein Buch zu lesen, hat mir sehr gut gefallen. | @cosmeaandbooks, 30 décembre 2020 : Vous aussi vous avez lu #staubchronik en novembre ? J’ai été en retard pendant un bon moment, mais je l’ai finalement terminé à temps et j’ai vraiment apprécié cette façon de lire un livre. |
Dans les deux publications citées ci-dessus, les micro-blogueuses font référence à la pratique de « lire avec d’autres », nuance particulièrement mise en avant par l’utilisation du verbe mitlesen (lire avec, en même temps). La première publication souligne également l’importance de l’échange déjà observé entre lecteur.trice.s, ici augmenté encore par la création d’un groupe de discussion privé. Le challenge #Staubchroniknovember encourage donc la formation d’une communauté autour de l’œuvre, où l’autrice tient un rôle central.
Le challenge ne s’adresse effectivement qu’aux lecteur.trice.s possédant le prolongement de lecture écrit par Lin Rina et publié chez Drachenmond Verlag en 2019, Animants Welt, ein Buch über Staubchronik. À l’intérieur se trouve un tableau permettant de suivre le rythme de lecture, ainsi que différentes histoires, anecdotes et représentations de personnages, objets et lieux liés à l’histoire. Ce prolongement de lecture est une pratique de World Making, l’art de construire un univers fictionnel où « les artistes créent des environnements convaincants qui ne peuvent être pleinement explorés ou épuisés dans une seule œuvre ou même un seul média »[13]. Lin Rina et son éditeur ont donc créé un « univers Staubchronik », qui fournit un cadre où peut s’opérer la représentation collective de l’œuvre induite par les communautés de lecteur.trice.s. Les représentations iconographiques des personnages circulant sur Instagram sont par exemple directement issues d’Animants Welt. L’autrice, en interagissant par la suite avec son lectorat dans sa position d’autorité dans le champ littéraire, fixe d’autant plus ce cadre et encourage son utilisation.
L’utilisation d’outils participatifs par l’autrice induit donc une possibilité de lecture d’Animant Crumbs Stauchronik « partagée » pour les lecteur.trice.s impliqué.e.s dans des communautés en ligne : ils/elles ont l’occasion de lire ensemble, en même temps (mitlesen) une œuvre pour laquelle est proposé un cadre de représentation. Ceci a sans aucun doute pour but d’aboutir à une communauté participative autour de l’œuvre même, une « communauté Staubchronik », qui serait à même d’assurer la longévité de son succès.
Conclusion
Cette communication illustre, sur la base du roman germanophone Animant Crumbs Stauchronik, la manière dont les communautés du lectorat jeunesse s’organisent sur la plateforme de micro-blogging Instagram, en postant notamment des critiques du livre et en interagissant via les commentaires. Ces pratiques participatives influencent tout d’abord leur choix de lecture, via la recommandation. Elles aboutissent ensuite au développement d’une représentation collaborative de l’œuvre littéraire, via l’adoption d’une esthétique et de représentations fixes des personnages, objets et lieux de l’« univers Staubchronik ». Cet univers est élaboré en majeure partie par l’autrice elle-même qui, selon la pratique du World Making, crée et diffuse des prolongements de lecture sous forme de nouvelles et de représentations iconographiques dans un deuxième livre, Animants Welt, et d’un challenge de lecture. Celui-ci offre une expérience de lecture « partagée », où chacun.e lit la même chose, en même temps. Couplé au cadre de représentation proposé par Animants Welt, il participe à la création d’une « communauté Staubchronik », où l’autrice joue un rôle vital.
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Bibliographie
boyd, danah, Ito Mizuko et Henry Jenkins, Culture participative Une conversation sur la jeunesse, l’éducation et l’action dans un monde connecté, Caen, C&F éditions, 2017.
Burgos, Martine, Buch Esteban, Evans Christophe, Sociabilités du livres et communautés de lecteurs. Trois études sur la sociabilité du livre, Paris, BPI-Centre Georges Pompidou, 1996.
Iser, Wolfgang, « The Reading Process: A Phenomenological Approach », New Literary History 3, 2 , 1972, p. 279-299.
Jenkins, Henry, La culture de la convergence. Des médias au transmédia, Paris, Armand Colin, 2013.
Murray, Simone, « Charting the Digital Literary Sphere », Contemporary Literature 56, 2, 2015, p. 311-339.
Rehberg Sedo, DeNel (éd.), Reading Communities from Salons to Cyberspace, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2011.
Notes
[1] Martine Burgos, Esteban Buch, Christophe Evans, Sociabilités du livres et communautés de lecteurs. Trois études sur la sociabilité du livre, Paris, BPI-Centre Georges Pompidou, 1996. ⬆︎
[2] Henry Jenkins, La culture de la convergence. Des médias au transmédia, Paris, Armand Colin, 2013. ⬆︎
[3] DeNel Rehberg Sedo (éd.), Reading Communities from Salons to Cyberspace, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2011, p. 11. ⬆︎
[4] DeNel Rehberg Sedo, op. cit., introduction. ⬆︎
[5] Simone Murray, « Charting the Digital Literary Sphere », Contemporary Literature 56/2, 2015. ⬆︎
[7] danah boyd, Mizuko Ito et Henry Jenkins, Culture participative Une conversation sur la jeunesse, l’éducation et l’action dans un monde connecté, Caen, C&F éditions, 2017, p. 55. ⬆︎
[8] danah boyd, Mizuko Ito et Henry Jenkins, op. cit., p. 235. ⬆︎
[9] Martine Burgos, Esteban Buch, Christophe Evans, op.cit., introduction. ⬆︎
[10] Wolfgang Iser, « The Reading Process : A Phenomenological Approach », New Literary History 3, 2 , 1972, p. 279-299. ⬆︎
[11] Henry Jenkins, op. cit., p. 23. ⬆︎
[12] DeNel Rehberg Sedo, op. cit., introduction. ⬆︎
[13] Henry Jenkins, op. cit., p. 135. ⬆︎
Morgan Frères
Morgan Frères est étudiante au Département d’études germaniques de la Sorbonne Nouvelle à Paris. Elle prépare actuellement un Master « Métiers de la culture dans le domaine franco-allemand » et mène dans ce cadre des recherches sur le rôle des communautés de lecteur.trice.s au sein de la littérature de jeunesse germanophone, sous la direction de Sarah Neelsen.
Auparavant, elle a fait des études de langues et littérature modernes (domaine germanophone et anglophone) à l’Université de Liège en Belgique, où elle a préparé un premier mémoire de recherche sur la représentation de la maternité en littérature germanophone contemporaine.
(crédit photo : Cécilia Viroux)
Bonjour Morgan,
Merci pour votre présentation!
Je suis curieuse d’en apprendre davantage sur le rôle central que joue l’autrice dans la communauté de lecture sur Instagram. Outre les likes et les commentaires succincts qu’elle fait (ex.: “Je suis contente que ça te plaise.”), entre-t-elle en réelle conversation avec son auditoire à propos du contenu du livre? Par exemple, répond-elle aux questions des lecteur.trice.s au sujet des personnages, de l’intrigue ou autre? Dans quelle mesure, ou plutôt à quel niveau de profondeur discute-t-elle de certains aspects du contenu du livre avec le public sur le réseau social?
Merci!
Joanie G.
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre question !
Dans le corpus que j’ai analysé pour cette communication, je n’ai pas trouvé d’interactions plus profondes que celles que vous mentionnez (cela se résume d’ailleurs parfois à des émoticônes). Je n’ai cependant pas encore exploré les interactions en « story » sur Instagram, qui sont le plus souvent éphémères. J’ai observé que l’autrice « reposte » via sa story des publications réalisées par des lecteur.trice.s, notamment des challenges de lectures traitant plus du contenu ou des personnages (par ex. « A quel point ressembles-tu à Animant ? »). J’ai l’impression que l’autrice agit surtout en encourageant les pratiques de lectures des communautés, mais qu’il y a peu de discussions profondes concernant le contenu du livre. Une prochaine étape de mes recherches est d’ailleurs d’observer si cette tendance se confirme avec d’autres œuvres (en prenant notamment en compte leur popularité) !
En espérant vous avoir apporté des précisions,
Morgan Frères
Bonjour Morgan, merci pour cette présentation intéressante!
Les exemples de culture participative et de communauté de lecteur.trice.s autour d’une oeuvre fictionnelle ne datent pas d’hier, comme vous le signalez en introduction. En dehors de quelques cas connus (comme La Nouvelle Héloïse de Rousseau, ou Les Mystères de Paris d’Eugène Sue), on dispose toutefois de relativement peu de documents (ex. lettres de lecteur) sur la réception des œuvres anciennes – les réseaux sociaux constituent en ce sens une source foisonnante pour ce type d’étude aujourd’hui, qui renouvelle l’étude de la réception des oeuvres. Cela soulève, il me semble, des questions de méthode et d’archivage. Est-ce que vous archivez systématiquement tous les commentaires que vous analysez afin d’en garder une trace tangible? Comment procédez-vous? Leur archivage, leur usage et leur citation posent-t-ils des enjeux éthiques?
Par ailleurs, en vous lisant, j’ai l’impression que l’œuvre de Lin Rina, si elle mobilise fortement une communauté en ligne, présente somme toute peu de réactivité aux commentaires des lecteurs, c’est-à-dire qu’elle ne semble pas intégrer au monde fictionnel des éléments construits collectivement et relevant la « représentation collective » de l’oeuvre. Le prolongement que vous évoquez, par exemple, semble essentiellement construit par Rina et son éditeur, n’est-ce pas? Existe-t-il à votre connaissance d’autres cas où la construction du monde fictionnel tiendrait davantage compte des apports des lecteurs sur les réseaux sociaux et serait plus pleinement interactive?
Merci beaucoup pour vos réponses !
Bonjour,
Merci beaucoup pour vos questions !
Je conserve en effet les publications et commentaires citées dans mes recherches, tout d’abord sous forme de captures d’écran (afin de conserver l’aspect visuel). Je travaille toujours à l’élaboration d’un tableau où intégrer et classifier les différents exemples qui seront analysés dans mon mémoire de recherche. L’archivage me semble primordial car il est toujours possible de supprimer une publication ou un commentaire sur n’importe quelle plateforme numérique.
Il est juste de dire que la représentation commune d’Animant Crumbs Staubchronik est fortement influencée par son autrice et la maison d’édition. Je vois d’ailleurs en cette œuvre presqu’autant une tentative de « provoquer » la culture participative que de l’exploiter.
Je peux citer l’œuvre anglophone de Sarah J. Maas A Court of Thorn and Roses, comme l’exemple d’une appropriation plus intense de l’œuvre par ses lecteur.trice.s. Les représentations des personnages circulant sur les plateformes (communément appelées fanart) émanent des fans, par exemple. Il y a également de nombreuses discussions sur de possibles scénarios non-abordés dans les livres (des headcanons s’opposant au canon qu’est l’œuvre originale) entre lecteur.trice.s, ainsi que de la fanfiction. Il me semble qu’alors se développe un monde fictionnel commun qui appartient aux fans ; l’exemple extrême étant bien sûr la franchise Harry Potter. Dans le cas d’A Court of Thorn and Roses, l’interaction avec l’autrice est moindre (peut-être parce que le succès est plus important ?), mais elle existe.
En espérant vous avoir apporté des précisions,
Morgan Frères
Merci beaucoup pour vos réponses!
Bonjour Morgan et merci bcp pour la découverte de cette petite communauté et d’un livre que je ne connaissais pas du tout (mais qui s’inscrit dans un courant néo-victorien/néo-féministe, finishing schools et Enola Holmes, bien intéressant à observer…).
Connaissez-vous la thèse de Louis Wiart, accessible ici https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02128319/, sur « La prescription littéraire sur les réseaux socionumériques de lecteurs » ? Datant de 2015, elle ne mentionne pas Instagramm, mais je me demande dans quelle mesure des tendances s’avèrent en fait pérennes en dépit du renouvellement permanent des réseaux préférés et des lecteurs.trices concernés.
(J’ai plein de biblio en tête mais je m’arête là !)
Enfin, que les livres eux-mêmes tiennent une place importante dans l’histoire d’Animant m’a fait penser à la grande autrice de best-sellers jeunesse allemande Cornelia Funke et notamment son « Monde d’encre » – y a–t-il à votre connaissance des échos explicites (et donc une sorte d’ « effet mémoire » des communautés de lecture) ?
Au plaisir de vous lire !
Anne Besson
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre commentaire et votre recommandation !
Je ne connaissais pas cette thèse, mais après l’avoir consultée, je vous rejoins sur la pérennité des habitudes de lectures. La culture participative n’est que peu une question de plateforme voire même de multimédia, mais plus d’attitude face à l’objet culturel/littéraire. Jenkins fait notamment référence aux conventions de fan comme exemple de culture participative « in real life », au-delà d’internet.
La trilogie Monde d’encre de Cornelia Funke connaît du succès au sein des communautés de lecteur.trice.s sur Instagram, mais de prime abord, je ne vois pas d’interactions particulières entre l’autrice et son lectorat. Il cependant certain que les communautés participatives ont tendance à avoir un « type » de livre, et, même si cela demanderait de plus amples recherches, je ne serais pas étonnée que l’importance des livres dans l’histoire joue un rôle dans le succès d’une œuvre.
En espérant vous avoir apporté des précisions,
Morgan Frères