Benjamin Arteau-Leclerc, « S’isoler pour « mieux » jouer : les fanfictions coécrites avec une intelligence artificielle sur AI Dungeon »

Benjamin Arteau-Leclerc

Benjamin Arteau-Leclerc poursuit actuellement des études de deuxième cycle en études littéraires à l’Université Laval, sous la direction de René Audet. Son projet de mémoire « La narrativité sous la responsabilité du lectacteur : les fictions co-écrites en temps réel avec une intelligence artificielle (AI Dungeon) » s’intéresse à la narrativité et aux modifications engendrées sur cette dernière par l’émergence des pratiques de co-écriture avec les intelligences artificielles.

Il est également auxiliaire de recherche pour le projet Littérature québécoise mobile, tuteur auprès d’étudiant.es en situation de handicap au Centre d’aide aux Étudiants (CAE) de l’Université Laval et directeur éditorial pour la revue de design un:un.

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6 réflexions au sujet de “Benjamin Arteau-Leclerc, « S’isoler pour « mieux » jouer : les fanfictions coécrites avec une intelligence artificielle sur AI Dungeon »”

  1. Bonjour Benjamin,

    Merci pour ce tour d’horizon très riche de la plateforme AI Dungeon ! Vous soulignez bien les différences entre ce que devient la fanfiction sur cette plateforme, et ce qu’elle est par ailleurs dans ses modalités numériques plus courantes (ex. via les forums et sites webs de fans). Savez-vous s’il y a aussi des différences en matière de législation et de droits d’auteur ? Ce que je veux dire, c’est qu’avec AI Dungeon, le prolongement d’un monde fictionnel donné, par exemple celui d’Harry Potter, sur une plateforme comptant des centaines, voire des milliers (j’imagine?) d’utilisateurs, est sans doute davantage susceptible de titiller éditeurs et auteurs chatouilleux en matière de droits d’auteur que le fait qu’un groupe de fans décide de produire des fanfictions sur un forum de nature plus confidentielle. Y a-t-il eu, à votre connaissance, des débats, voire des poursuites judiciaires à ce sujet?

    Merci,
    Mélodie

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    • Bonjour Mélodie,

      Merci pour la question. De ce que j’en sais, la plateforme n’a jamais été la cible de poursuites judiciaires. Même si on parle effectivement de plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs, elle reste somme toute peu connue à l’échelle globale alors elle parvient, selon moi, à rester en dehors des radars pour le moment, surtout que les scénarios reprenant Harry Potter, Star Wars et autres sagas à succès ne représentent qu’une partie de tous les scénarios disponibles.

      L’enjeu est néanmoins bien présent et il semble inévitable qu’un jour la plateforme fera face à des difficultés légales. Puisqu’il est possible de s’abonner à AI Dungeon pour accéder à des modèles d’IA plus performants et puisqu’il est possible de jouer à des scénarios issus d’univers populaires, la plateforme génère en quelque sorte de l’argent sur le dos de ces licences. À voir, toutefois, si cela brise réellement le droit d’auteur ; puisque les œuvres protégées n’apparaissent pas en tant que telles, peut-être que cela peut s’inscrire dans le « fair use ». Je ne sais pas.

      Une chose est certaine : la question des droits d’auteurs est toujours au cœur des discussions sur les IA et elle suscite beaucoup de débats. Pour le moment, d’un point de vue légal, il y a encore beaucoup de flou, que ce soit d’une pratique à une autre ou d’un pays à un autre. Pas de doute que ce domaine sera davantage légiféré très bientôt.

      Au plaisir,
      Benjamin

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  2. Bonjour Benjamin,
    Merci pour ton très riche exposé et l’ensemble des éléments soulevés par rapport à ce type de corpus et pratiques qui aménagent notamment une tournure bien particulière du concept de « lectacteur ». De mon côté, je me demandais simplement si face à ces expériences beaucoup plus solitaires/individuelles de fanfiction que configure la plateforme AI Dungeon (comme tu l’évoques en conclusion de ton propos), il existait ailleurs des propositions (ou possibilités) potentiellement collectives de la même dynamique, des scénarios qui seraient co-écrits à plusieurs et en temps réel ?
    Par ailleurs, certains récits sont-ils amenés à être édités/réécrits et si oui, dans quelle visée ?
    D’avance merci!

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    • Bonjour Corentin,

      Merci pour ta question. Cette dynamique d’écriture en alternance avec une IA est relativement répandue sur le web. Plusieurs plateformes proposent un service similaire, bien qu’avec des visées légèrement différentes (Novel AI, par exemple, se présente moins comme un « jeu » qu’un outil d’écriture). AI Dungeon reste néanmoins la plateforme la plus populaire et elle est la seule, à ma connaissance, à offrir une expérience multijoueur, bien que relativement insignifiante et expérimentale pour le moment.

      En parcourant les forums sur le web et le Discord officiel de la plateforme, il est aisé de voir que seulement une minorité des joueurs utilisent cette fonctionnalité, notamment parce que, jusqu’à tout récemment, il était nécessaire d’avoir un abonnement payant à AI Dungeon pour lancer une partie multijoueur. Ce n’est désormais plus le cas, mais d’autres enjeux subsistent, notamment la baisse en performance de l’IA, qui peine à gérer les propositions de plusieurs individus et qui « oublie » même parfois l’existence d’un joueur. Son personnage n’apparait alors plus dans l’histoire et, s’il écrit, l’IA ne parvient pas à le resituer dans le récit et génère donc un peu n’importe quoi. Autre problème : l’IA a l’habitude d’écrire à un seul joueur, à qui elle s’adresse avec la deuxième personne « You ». Elle a tendance à le faire aussi en multijoueur, ce qui crée beaucoup de confusion. À quel joueur s’adresse-t-elle vraiment ? Bref, cette solitude dont je fais mention en conclusion est probablement appelée à évoluer au rythme que le dispositif se perfectionne, mais elle restera toujours présente selon moi : les joueurs évolueront quand même en huis clos, sans forum ou site fédérateur, sans collaboration extérieure, etc.

      En ce qui concerne ta seconde question, je ne crois pas prendre de risques en avançant que certains récits sont édités/réécrits, ne serait que pour être publiés sur Wattpad ou sur des forums spécialisés. Rares sont ceux qui revendiquent leur appartenance à AI Dungeon, toutefois. C’est plutôt mal vu, je crois.

      Au plaisir,
      Benjamin

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  3. Bonjour Benjamin, merci beaucoup pour cette présentation passionnante. Ma question recoupe en partie celle de Corentin. Je me demandais aussi si les fanfictions (écrites sur des forums ou des plateformes d’AI) se limitent à l’univers numérique ou s’il existe des cas où les histoires sont adaptées et proposées sur d’autres supports. Je me demandais également si les utilisateurs qui ont testé à la fois les forums et les plateformes comme AI Dungeon ont fait des commentaires à ce sujet, et quelles ont été leurs réactions face à cette nouvelle forme d’écriture et de lecture. Comme vous l’avez souligné dans votre communication, sur AI Dungeon, les utilisateurs sont moins actifs (ce qui se reflète dans les commentaires), mais leur expérience de lecture est-elle également affectée ? Savons-nous s’ils apprécient les histoires créées en collaboration avec l’AI autant que les fanfictions créées dans un régime d’écriture collaborative ? Je suppose qu’il n’est pas facile de collecter ce genre de données, mais cela pourrait peut-être ouvrir de nouvelles pistes.. D’avance merci!

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    • Bonjour Chiara,

      Merci pour ton écoute et tes questions. Les fanfictions prennent effectivement plusieurs formes, allant du court-métrage amateur sur Youtube (« Voldemort : Origins of the Heir » est d’ailleurs assez impressionnant) aux romans papier à succès (les 50 Shades of Grey sont initialement une fanfiction de Twilight). Je ne crois pas que des fanfictions issues d’AI Dungeon aient reçu le même traitement, toutefois : la plateforme est relativement récente, les histoires coécrites avec une IA ne sont pas nécessairement les plus pertinentes et, finalement, l’absence d’une communauté forte rend impossible un éventuel sociofinancement ou une collaboration à plus grande échelle.

      S’il est effectivement difficile de récolter des données fiables à propos de l’opinion des amateurs de fanfictions, un constat semble toutefois quasi unanime : il est beaucoup plus plaisant de « jouer » sur AI Dungeon que de « lire » sur AI Dungeon, comme en témoigne le nombre très faible de lectures, même sur les aventures les plus populaires. Généralement, celles qui récoltent le plus de lectures (quelques dizaines à peine) ne sont pas étoffées et captivantes, mais plutôt courtes et cocasses : une bévue de l’IA, une situation improbable, une mort absurde du personnage, etc. Selon moi, cela s’explique par le fait qu’une grande part de l’intérêt de la plateforme réside dans l’incarnation d’un personnage auquel on s’identifie (dans une certaine mesure, à tout le moins). En prenant part à l’écriture, en dirigeant le récit selon nos envies, nous sommes directement plus investis et il est alors plus facile de s’imaginer une scène vivante malgré l’absence de descriptions ou de pardonner des écarts de l’IA. D’un point de vue extérieur, à la lecture, ce n’est plus le cas ; l’expérience s’en voit directement affectée.

      Au plaisir,
      Benjamin

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