Iñaki Ponce Nazabal, « Numérisation de la filière du livre et pratiques artisanales du roman-photo »

Iñaki Ponce Nazabal

Iñaki Ponce Nazabal est docteur en Sciences de l’information et de la communication et chercheur associé au LabSIC au sein de l’Université Sorbonne Paris Nord. Il a soutenu en janvier 2024 une thèse intitulée « Publier des livres « inclassables » : le roman-photo dans l’édition contemporaine », sous la direction de Bertrand Legendre (LabSIC) et Sophie Noël (CARISM). Il s’intéresse dans ce travail aux stratégies déployées par les auteurs et les éditeurs pour produire et valoriser des livres qui s’accordent mal avec la segmentation actuelle du marché, questionnant ainsi l’institution des conventions éditoriales et leur transgression.

Bibliographie

Baetens Jan, Pour le roman-photo, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2017.

Brion Anne-Laure, « Positif entre amateurisme et professionnalisme : une revue aux prises avec son identité », Sociologie de l’Art, vol.5, n° 3, 2004, p. 57-76.

Donnat Olivier, « Évolution de la diversité consommée sur le marché du livre, 2007-2016 », Culture études, vol.3, n° 3, 2018, p. 1-28.

Giet Sylvette, « Nous deux », 1947-1997 : apprendre la langue du cœur, Louvain, Éditions Peeters, 1997.

Guittet Emmanuelle, « “Moi, il me faut du papier” », Biens Symboliques / Symbolic Goods [en ligne], 7, 2020. Disponible sur : http://journals.openedition.org/bssg/485 (consulté le 22 novembre 2023).

Hein Fabien, « Le DIY comme dynamique contre-culturelle ? », Volume !, 9-1, 2012, p. 105-126.

Le Bruchec Kevin, « L’auto-édition de bande dessinée : une voie d’entrée spécifique au sein du champ éditorial », dans Bosser Sylvie (dir.), Bibliodiversity, « L’auto-édition, un vecteur de bibliodiversité ? », n° 7, janvier 2019, p. 44-57.

—, « Sur le rapport singulier à l’objet livre des éditeurs alternatifs : le cas de The Hoochie Coochie », Comicalités [en ligne], « Bande dessinée et culture matérielle », mis en ligne le 1er février 2022. Disponible sur : http://journals.openedition.org/comicalites/6993 (consulté le 8 octobre 2023).

Legendre Bertrand, « Évolution technique et mutation des genres éditoriaux : le documentaire jeunesse et le livre de poche », Communication et langages, n° 145, 3-2005, « L’empreinte de la technique dans le livre », p. 61-68.

Mœglin-Delcroix Anne, Livres d’artistes, Paris, Centre Georges Pompidou et Herscher, « Sémaphore », 1985.

Ponce Nazabal Iñaki, Publier des livres « inclassables » : le roman-photo dans l’édition contemporaine, thèse de doctorat en Sciences de l’information en de la communication, soutenue le 31 janvier 2024 à l’Université Sorbonne Paris Nord, Paris.


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7 réflexions au sujet de “Iñaki Ponce Nazabal, « Numérisation de la filière du livre et pratiques artisanales du roman-photo »”

  1. Bonjour Iñaki, merci de cette communication qui lève le voile sur la transformation des processus de création/production des romans-photos en contexte numérique. C’est très certainement là, dans cette barre oblique entre création et production, que se situe le point focal de votre intervention, puisque les contingences techniques (les outils) réaffirment la labilité des postures des personnes impliquées dans la réalisation de ces ouvrages. Vous montrez bien comment les pratiques amateures et artistiques sont favorisées dans une période où les logiciels, maîtrisés parfois maladroitement mais accessibles à toutes et tous, changent profondément la donne dans la possibilité large de se prêter à de tels gestes créateurs.

    Entre la posture de bricolage et celle de micro-édition artistique, on observe néanmoins un fort point commun : l’idée d’une réappropriation du processus complet (ou presque) de la production des ouvrages – ce que le milieu éditorial pré-numérique (ou pré-outils accessibles) avait quelque peu gommé, à moins de recourir à des pratiques de production/impression très artisanales. Que pensez-vous de cette transformation (non pas un retour en arrière mais un rapport à nouveau étroit avec la réalisation concrète, avec des possibilités décuplées par les logiciels) et de son incidence sur la pratique elle-même ? Bouleverse-t-elle les codes de la pratique ? Le rapport avec la photo est-il changé ? (comme l’est notre pratique quotidienne de la photo, à distance d’une posture artistique mais avec des qualités pourtant inédites…) Il serait étonnant, me semble-t-il, que l’évolution des moyens techniques n’ait pas d’incidence sur la définition même du roman-photo…

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    • Bonjour René,
      Merci beaucoup pour ces remarques et ces questions.
      Je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce qui réunit ces deux types de pratiques éditoriales. Concernant le roman-photo, si l’on reste vraiment centré sur le livre imprimé, je n’ai pas observé un bouleversement des codes ou des formes sous l’effet de la numérisation des pratiques – si ce n’est l’apparition remarquable d’un roman-photo documentaire, mais il me semble que la question du numérique n’est pas décisive pour comprendre cette invention récente. Par contre, ces évolutions techniques ont bien entendu favorisé la construction de discours politiques sur le livre et l’édition. Dans les entretiens que j’ai menés, j’ai constaté que la réappropriation des outils de production s’accompagne souvent de revendications à l’autonomie des auteurs et une opposition plus générale aux contraintes et aux logiques industrielles.
      Concernant l’évolution du rapport à la photographie, c’est une question difficile. Certains auteurs et éditeurs identifient en effet des ruptures historiques et notamment l’épuisement de la forme éditoriale de la monographie en photographie. Fabienne Pavia, éditrice aux Éditions Le Bec en l’air, note dans un entretien : « On est un peu arrivé à la fin de ce que j’appellerai l’illusion documentaire, c’est-à-dire le pouvoir de la photographie de témoigner, de faire preuve. Pour moi c’est désormais terminé, parce que manipulation de l’image, parce que flux d’images. À l’inverse, je crois profondément à la capacité de la photographie à faire récit, à raconter des histoires. Et c’est là, pour moi, que se situent les écritures qui m’intéressent dans le champ photographique. […] Moi, les livres vers lesquels je m’oriente, ce sont des livres qui font récit, qui ont une narration, qui racontent des histoires. » (https://www.youtube.com/watch?v=nLELIUldqfI)
      Si le contexte numérique me semble être un facteur déterminant pour comprendre cet intérêt contemporain pour la photographie-récit, la revendication à la narration ponctuait déjà l’histoire pré-numérique de la photographie. Michel Poivert relève dans « La photographie-récit : un défi lancé au regard » : « Il existe des “pics” historiques où la photographie-récit semble répondre à une volonté de raconter quelque chose par l’image, fiction ou documentaire, sans ressusciter l’antique conflit entre le lisible et le visible. Vivons-nous un de ces “pics” de la photographie-récit ? » L’historien tend à répondre par l’affirmative en poursuivant : « L’un des indices les plus tangibles de cette actualité d’une photographie-récit est l’inflation de l’image vernaculaire dans les travaux des artistes » qui est en effet le « signe d’un consensus autour du désir de récit ».
      Pour rejoindre votre propos, il est donc intéressant de noter que Michel Poivert relie l’intérêt contemporain pour le récit à l’image vernaculaire, autrement dit à un matériau photographique qui se tient à distance des postures artistiques – et dont précisément, le numérique favorise aujourd’hui le développement.
      Enfin, au sujet des incidences que peuvent avoir les innovations techniques sur la définition du roman-photo, peut-être faut-il sortir du domaine de l’imprimé : le développement des réseaux sociaux, et notamment les stories Instagram, donne lieu à des narrations photo-textuelles parfois ambitieuses et artistiques qui occupent à mon sens une place à part entière dans le domaine, large, du photo-romanesque. Il faudrait aussi évoque la prolifération des mèmes, courtes séquences photo-textuelles à visée humoristique, politique ou satirique. Tout cela élargit l’espace du photo-romanesque à d’autres formes et à d’autres supports que celui du livre ou du magazine imprimé auquel il est historiquement rattaché.

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      • Merci de ce retour (et mes excuses pour la réponse tardive !). Évidemment, les parallèles sont intéressants avec les pratiques numériques. Leur statut, par contre, est infiniment différent, en raison de leur caractère éphémère et de la distance avec le livre-objet (voire le beau livre)… Démocratisation ou plutôt remédiatisation ? On a le sentiment d’une prise de distance dans l’exécution d’une pratique qui se déplace…

        Je constate avec joie cette prise de conscience du pouvoir narratif des images (une forme spécifique de storytelling – même si le mot a mauvaise presse en France !). C’est probablement un effet de retour d’une banalisation du dialogue intermédial, rendu possible par ces outils numériques que l’on a toujours avec soi et qui rendent cette jonglerie sémiotique possible…

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  2. Bonjour Iñaki:
    Votre communication est tout à fait stimulante.
    J’aimerais savoir si vous identifiez d’autres secteurs de niche qui bénéficient également de la démocratisation des logiciels? Vous indiquez un fil tendu entre amateurisme, pratiques contre-culturelles, amateurisme et DIY. Cela n’est pas sans évoquer les zines, qui reposent sur un équilibre semblable (et un dialogue semblable avec le livre d’art et la BD). Voit-on de pareilles valorisations et résistances à la segmentation autour d’autres livres inclassables?

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    • Bonjour Julien,
      Je vous remercie pour vos questions, en effet, les zines sont un parfait exemple de ces tensions ou de ces équilibres entre amateurisme, pratiques contre-culturelles et pratiques artistiques légitimes.
      Concernant votre première question, je dirais de manière plus générale qu’avec le développement de la publication assistée par ordinateur, des presses numériques et de l’impression à la demande dès l’exemplaire unique (POD), c’est tout le champ de l’auto-édition imprimée qui a bénéficié de ces innovations – même si au sein de chaque secteur le rapport à l’auto-édition est sensiblement différent. Pour rester sur la situation française, on constate que l’auto-édition représente en 2021 un quart des livres recensés par la Bibliothèque nationale de France, contre seulement 6 % en 2005 (données de l’Observatoire du dépôt légal).
      Dans chaque secteur et selon le profil et la trajectoire des auteurs, ces usages de l’auto-édition sont extrêmement variés – pratique de consolation, affirmation d’une radicalité éditoriale ou esthétique, revendication de l’autonomie artistique ou économique de l’auteur, etc. C’est une question qui m’intéresse beaucoup et dans les prochains mois je devrais approfondir cette approche comparative par secteurs éditoriaux à partir d’une recherche sur les données catalographique de la Bibliographie nationale française.
      Concernant les résistances à la segmentation du marché, il me semble que c’est une dynamique qui traverse une grande partie des secteurs éditoriaux – et que j’ai pu observer pour ma part dans le domaine de la photographie et de la bande dessinée. Elles renvoient à des logiques de transgression et traduisent des luttes qui peuvent être résumées par ce que notait Pierre Bourdieu dans « Langage et pouvoir symbolique » : « Toute tentative pour instituer une nouvelle division doit en effet compter avec la résistance de ceux qui, occupant la position dominante dans l’espace ainsi divisé, ont intérêt à la perpétuation d’un rapport doxique au monde social qui porte à accepter comme naturelles les divisions établies ou à les nier symboliquement par l’affirmation d’une unité […] plus haute. […] Au travail moteur de la critique hérétique répond le travail résistant de l’orthodoxie. »
      Sur le plan éditorial, ces remises en cause se manifestent souvent par des transferts de pratique entre secteurs. Je pense par exemple au développement et à la prolifération des « mooks » dans les années 2010 en France, un cas typique d’hybridité puisqu’il s’agit de périodiques publiés sous forme de livres et distribués en librairie. Ou encore à l’invention de la collection « Photo-Poche » par Robert Delpire dans les années 1980, qui proposait des livres photo à petit prix au format poche – un format populaire principalement associé à cette époque à la littérature et aux SHS.
      La question est ensuite de savoir si ces livres inclassables le restent, en revendiquant une singularité et en valorisant ces décalages vis-à-vis d’une orthodoxie à laquelle ils n’aspirent pas. Ou si au contraire ces livres cherchent à s’instituer dans le champ éditorial, intégrant ainsi la production de masse et redéfinissant à leur avantage les segmentations du marché du livre.

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      • Je précise ma phrase : l’auto-édition représente un quart des livres qui ont été publiés en France en 2021 et qui ont fait l’objet cette même année d’un dépôt légal (et non un quart de l’ensemble des livres recensés par la BnF)

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  3. Bonjour Iñaki,
    Merci beaucoup pour cette présentation, que j’ai trouvée extrêmement stimulante. J’aimerais revenir sur un point que vous avez soulevé lors de votre conférence, à savoir le fait que l’auto-édition et le DIY sont perçus différemment dans le secteur de la littérature et dans le secteur de la bande-dessinée ou de la photographie, surtout en ce qui concerne la légitimité de l’œuvre produite. D’après vous, comment expliquer cette différence? Est-ce qu’elle dépend exclusivement du prestige que traditionnellement l’on a la tendance à attribuer au secteur de la littérature par rapport aux deux autres secteurs impliqués ou est-ce que d’autres facteurs entrent en jeux? Par exemple, le fait que les deux secteurs relèvent d’espaces de production différents ?

    D’avance merci!

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