Victor Krywicki, « Le best-seller pour adolescent des années 2010 à nos jours. Éléments d’analyse et de méthodologie »

Victor Krywicki

Victor Krywicki est assistant-chercheur en Métiers du Livre à l’Université de Liège et libraire. Ses recherches portent sur le livre contemporain, ses conditions de production et de réception. Il prépare en outre une thèse sur les institutions d’aide à la pratique de l’écriture littéraire en Belgique.

Vous avez aimé cette communication scientifique? Découvrez les autres de cette deuxième livraison.

11 réflexions au sujet de “Victor Krywicki, « Le best-seller pour adolescent des années 2010 à nos jours. Éléments d’analyse et de méthodologie »”

  1. Merci pour cette communication très enrichissante! C’est intéressant de constater à quel point les réseaux sociaux comme TikTok influencent le monde littéraire. Grâce à ces plateformes, des livres publiés depuis quelques années déjà peuvent devenir des bestsellers à cause de vidéos virales qui créent un véritable engouement (je pense entre autres à Plus Jamais de Colleen Hoover publié en 2016 et qui n’a connu un véritable succès que durant la pandémie). Les réseaux sociaux ont vraiment la possibilité de faire évoluer le milieu de l’édition et la façon dont le marketing est pensé.

    Répondre
  2. Merci pour votre commentaire ! Un autre impact inattendu qu’ont les communautés de lecture en ligne se retrouve selon moi dans la vitesse accrue à laquelle les nouveaux lecteurs deviennent experts.

    Au sein de ces communautés, les créateurs les plus vocaux semblent naturellement être les lecteurs les plus aguerris et conscients des architextes, clichés, tropes du genre qu’ils lisent. Lorsque ces derniers postent sur TikTok par le biais des trends et sous couvert d’humour ou de partage d’une passion commune, ils mettent régulièrement en lumière ces clichés et ces mécanismes fréquents du genre et mutualisent en conséquence leur expérience. L’ensemble des lecteurs de la communauté gagne ainsi en expertise, de manière plus rapide que si leurs pratiques de lecture étaient isolées.

    Ceci explique à mon sens le fait que le public actuel de la romance et de ses dérivés (romantasy, etc.) soit si expert et qu’en réaction, une surcouche architextuelle s’ajoute par le biais des tags, des tropes et des vidéos aesthetic.

    Répondre
    • Merci Victor pour cette traversée fascinante du secteur YA. Le développement d’un profil expert y est indéniable… mais pas particulièrement typique des pratiques lecturales. Pourrait-on y voir plutôt une sorte de calque des pratiques communautaires très visibles, depuis les années 1990, dans la culture médiatique ? Séries télé, univers transmédiatiques, ensembles de films (Star Wars, Star Trek) : ce sont des univers fictionnels ayant suscité cet emballement de critique amateure avec surspécialisation des fans. Donc : influence de ces pratiques (de la culture médiatique à une [certaine] culture littéraire) ou effet des outils numériques / de réseaux sur les modalités d’appréciation/de réception des œuvres ?

      Répondre
      • Bonjour, et merci René pour ce commentaire ! On assiste effectivement à mon sens à une forme de « mainstreamisation » de ces pratiques communautaires, au moins pour ces best-sellers pour adolescents : cette surspécialisation, comme vous le notez, existe depuis longtemps dans les cultures de fans, mais la place que prend TikTok aujourd’hui, spécifiquement dans le cadre de la romance, a rendu cette pratique bien plus commune (et donc moins « nerd », peut-être dans la suite logique des récentes appropriations mainstream de certaines pratiques auparavant restées cloisonnées au sein des cultures « geek »… (comme le jeu de rôle avec Stranger Things de Netflix)).

        Répondre
  3. Bonjour Victor,

    Merci pour cette communication très stimulante qui rend bien compte des changements très récents dans les pratiques de mise en marché et de consommation du livre chez les jeunes adultes.
    Deux choses m’ont interpellée dans votre propos.
    Tout d’abord, je suis frappée par cette place prise par la romance au détriment des novellisations et autres produits transmédia. Est-ce qu’on remarque néanmoins dans le corpus le plus récent des « hybrides » génériques, ex. croisement entre romance et fantasy, entre romance et SF, ou autres genres ? Est-ce que la surreprésentation de la romance est liée à une place prédominante des lectrices (plutôt que des lecteurs masculins) sur les réseaux sociaux ?
    Ensuite, est-ce que l’importance accrue accordée à la matérialité du livre et aux éditions « collector » peut être liée à l’importance de l’esthétique visuelle des publications sur les réseaux sociaux, tout simplement, ou y a-t-il d’autres facteurs à considérer selon vous? J’avais regardé quelques publications de type « booktok » il y a quelque temps, par curiosité, et j’avais remarqué l’insistance sur les bibliothèques colorées / arc-en-ciel, les tranches des livres, leur épaisseur, etc. Cela participe peut-être au fond du même mouvement que cette excroissance du paratexte que vous mettez très bien en relief…

    Merci d’avance pour vos réponses,
    Mélodie

    Répondre
    • Bonjour Mélodie,

      Merci beaucoup pour votre commentaire.

      On remarque en effet de nombreux croisements entre les genres, qui me paraissent cependant dominés par une hybridation en particulier, celui de la romantasy (romance-fantasy). La fantasy contribue ici à mon sens à apporter des éléments d’exotisme, de dépaysement qui eux-mêmes amènent d’éventuels ingrédients supplémentaires à la romance (magie, interdits culturels à transgresser, etc.). Dans une moindre mesure, le sous-genre de la « mafia romance » correspond également à une forme d’hybridation en donnant comme cadre à la romance le monde du crime (le love interest étant prototypiquement un homme cruel héritier d’une puissante famille).
      Cette place prise par la romance peut en effet sans doute s’expliquer, dans un premier temps, par le fait que chez les jeunes entre 13 et 25 ans, on compte entre 10 et 15% plus de lectrices que de lecteurs (en France en 2022, selon une enquête du Centre National du Livre). Dans un second temps, il est certain que les lecteurs se font rares sur les réseaux sociaux, une impression sans doute largement partagée mais pour laquelle je ne dispose pas de chiffres.

      Ensuite, si l’importance accordée aujourd’hui à la matérialité du livre s’explique au moins en partie par le partage de ces éditions collector sur les réseaux sociaux, il me semble que d’autres facteurs entrent en effet en ligne de compte. Au simple plaisir de posséder un « bel objet » s’ajoute sans doute un « effet bibliothèque », où la passion de ces adolescent.e.s et jeunes adultes pour les livres et la lecture, souvent constitutive de la construction de l’identité des lecteur.ice.s qui la vivent, se matérialise dans leur espace de vie, et signale en quelque sorte physiquement leur investissement dans cette passion. Ensuite, les éditions collectors sont très fréquemment produits en quantité limitée de manière calculée, pour provoquer la demande par un manque d’offre (la fameuse « fear of missing out »). Ces mécanismes sont cependant bien entendus renforcés par le partage de ces éditions de luxe sur les réseaux, comme vous l’évoquiez ! Il me semble toutefois que cette « bibliophilie contemporaine » mérite d’être plus amplement interrogée.

      Répondre
      • Merci beaucoup Victor ! C’est très intéressant. Je ne connaissais pas la « mafia romance »! Vos réponses indiquent des voies dans lesquelles poursuivre l’enquête…

        Répondre
  4. Très intéressant, Victor. En tant que traductrice de romans YA, je confirme les éléments relevés par ton analyse pour 2023. De l’aveu des éditeurs, ce qui marche en ce moment, c’est la romance. Un univers de fantasy avec une romance forte marche, mais sans romance, c’est voué à l’échec commercial. J’ajouterai que plus la romance est « hot », plus elle marche, mais ce qui compte énormément aussi, c’est le pouvoir de séduction du #bookboyfriend (un élément qui revient énormément dans les critiques de romances).
    Par ailleurs, la mode du livre-objet par le biais d’une édition collector (jaspage, carte du monde si on est dans un univers de fantasy, jaquette, dorures etc) en précommande, qui n’était proposée il y a trois quatre ans que par un seul éditeur en France, s’est fortement développée et la pratique s’est largement répandue. Les lecteurs (le plus souvent des lectrices) veulent toute la collection en hardback (il s’agit généralement de séries) et si le lecteur ou la lectrice attrape la série en cours de route, il est inenvisageable d’acheter le T2 en hardback si il ou elle n’a le T1 qu’en édition ordinaire. Du coup, il existe un marché parallèle sur Vinted de premiers tomes de séries à succès, dont les prix s’envolent (parfois jusqu’à 150 euros le tome), jusqu’à ce que l’éditeur soit poussé à faire un retirage. La pratique de la précommande permet souvent de faire apparaître brièvement un titre dans la liste des best-sellers, car les livres sont souvent vendus dès l’annonce de l’éditeur sur les réseaux sociaux que les commandes sont ouvertes.

    Répondre
    • Chère Axelle,

      Merci beaucoup pour ton commentaire. Concernant le caractère érotique ou non des romances, j’ai constaté que certaines maisons d’éditions avaient commencé à « graduer » le caractère explicite de leurs romances par une échelle de 1 à 5 (représentée sur le quatrième de couverture), ce qui va dans le sens de cette surcharge générale du paratexte permettant aux lecteurs de s’orienter au mieux dans la production en fonction de leurs envies. Je n’avais cependant pas repéré aussi clairement l’importance du bookboyfriend, qui apparaît effectivement beaucoup sur les réseaux sociaux : il me semble en effet représenter l’un des éléments principaux du discours autour de ces livres, sans doute notamment parce qu’il offre un point de comparaison facile entre deux ensembles littéraires et peut mener à une « mise en compétition » ludique entre les lectrices.

      Quant à ce marché parallèle, j’ai pu l’observer de première main en librairie : l’édition collector de Captive de Sarah Rivens n’est plus disponible en France depuis peu, mais l’est encore en Belgique. Des clients français ont donc tenté d’en acheter une dizaine d’exemplaires dans la librairie où je travaille, sans aucun doute afin de les revendre à plus du triple du prix, une pratique de « scalping » qui me paraît être apparue depuis peu de temps dans le monde du livre.

      Répondre
  5. Bonjour Victor,
    Grand merci pour cette communication, que j’ai trouvée vraiment stimulante! J’aimerais simplement savoir si, dans le cadre de vos recherches, vous avez eu l’opportunité d’interroger ou de discuter avec des lecteurs ou des lectrices de littérature jeunesse (YA). Si c’est le cas, est-ce que leurs opinions ont confirmé les hypothèses émises à partir des données collectées, ou bien y a-t-il eu des divergences significatives ? D’avance merci!

    Répondre
    • Bonjour Chiara, merci pour ce commentaire !

      Cette communication se base davantage sur une observation en tant que libraire, et si des discussions informelles avec des lectrices (qui étaient ou non des collègues libraires) ont fait naître cette intervention puis m’ont conforté dans mes conclusions par la suite, je n’ai pas réalisé d’étude quantitative, cette approche étant assez éloignée de mon parcours et de mes méthodes. Des résultats empiriquement confirmés donc, à quelques exceptions près : j’ai tenté de dégager les tendances majoritaires, mais j’ai bien rencontré des lectrices qui n’utilisaient pas TikTok, et qui fonctionnaient par exemple uniquement par le bouche à oreilles ou le paratexte seul.

      Il reste que mon intervention visait avant tout à illustrer les possibles du best-seller en tant qu’objet d’étude, et je suis certain qu’une étude se basant sur une approche plus ancrée de la réception serait des plus instructives.

      Répondre

Laisser un commentaire